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Les formateurs académiques chargés de cette triste besogne ont commencé leur pathétique numéro de duettiste en prenant bien soin de désamorcer une bronca redoutée. « Cette mission, ils ne l'avaient pas choisie ; ils faisaient simplement le boulot qu'on leur avait demandé de faire ; cette réforme, ils n'étaient ni pour ni contre, bien au contraire ; et puis eux, ils n'étaient pas de vilains IPR qui disent des tas de bêtises et qui ont perdu de vue la réalité du métier ; et patati et patata... »

Et puis, constatant qu'ils avaient affaire à des distraits qui avaient oublié d'amener le goudron et les plumes, ils se sont déboutonnés, se laissant aller à quelques saillies trahissant sans pudeur le fond (peu ragoûtant) de leur pensée sur la question. Un des deux surtout, qui s'est très rapidement montré bien enthousiaste, usant toutes les trente secondes de « cool », « génial », « super » assez difficilement supportables. Un bon petit VRP de la réforme qui se voulait gai et entraînant et qui ne réussissait qu’à être exaspérant. Voici un petit florilège de ces perles qui ont pour seule vertu de faire apparaître à nu la vérité des intentions contenues dans cette arme de destruction massive de l’Éducation nationale qu'est la réforme du collège :

Nous avons d'abord eu droit au classique : « Je ne sais pas si vous avez remarqué mais le collège est conçu comme un petit lycée. Or la scolarité obligatoire s'arrête à 18 ans, juste après le collège. Après, c'est fini pour la plupart des élèves » T'as raison Toto, plus de 80 % des élèves qui vont aux lycées, c'est une paille qui ne mérite pas d'être prise en compte.

Un peu bousculé par nos interventions (parce qu'on leur a quand même bien pourri la vie : une heure sur la première diapo du « power point » !), un des deux comiques a cru nécessaire de se légitimer en nous assénant « moi, je suis un bon prof qui aime son métier et qui travaille pour la réussite de ses élèves. La preuve je les fais travailler en îlots, je les évalue sans note et au dernier bac blanc (il enseigne depuis plus de dix ans en lycée) ma classe était à 14 de moyenne quand les autres profs étaient (sic) à 11. » Il faut dire que les collègues en général et ceux qui critiquent la réforme en particulier sont d'affreux ringards qui ont des pratiques pédagogiques datant de Mathusalem. C'est bien simple, dans l'évolution, ils n'ont pas dépassé le stade du cours magistral. Pithécanthrope ! Cette appréciation toute en nuance est rapidement entrée en résonance avec ce commentaire de l’acolyte ne se contenant plus en lâchant que cette réforme était une revanche pour tous les martyrs du pédagogisme qui avaient œuvré pendant des décennies dans l'indifférence des équipes enseignantes et sans reconnaissance de leur hiérarchie. Rien que d'imaginer ces deux bienveillants-là dans un conseil pédagogique, il vient des sueurs froides. Vas-y avoir de la mise au pas ! Et puis va pas falloir venir leur casser les pieds avec la liberté pédagogique, ce truc derrière lequel se sont planqués pendant trop longtemps tous les tire-au-flanc de l'Educ qui n'ont jamais pensé à la réussite de leurs élèves (re-sic).

Assumant partiellement le fait que cette réforme aboutisse à une primarisation du collège, ils y reconnaissent cependant une limite : le trop grand écart qui risque de se creuser entre le collège et le lycée. Mais qu'à cela ne tienne : « il faudra aussi transformer le lycée », c'est-à-dire l'aligner sur le futur collège. Au moins c'est dit !

Nous avons aussi eu droit à l'inévitable : « le socle, c'est bien parce que c'est pas disciplinaire ! » On appréciera le postulat et la qualité de la démonstration.

Il y a aussi eu « L'objectif n'est pas de boucler le programme mais de valider le socle. Les programmes, c'est pas grave ! » Joyeuse assertion décomplexée et décomplexante qui a tout de même pâli quand fut posée la question : « mais alors, comment fera-t-on pour construire les épreuves terminales du brevet? » S'en est suivi un rétropédalage en catastrophe des plus réjouissants.

Mais le sommet en matière d'ineptie et de culpabilisation a sans doute été atteint quand le plus « parti » des deux a rappelé qu'à la prochaine rentrée les élèves de 6e ne pourraient pas avoir plus de 6 heures de cours par jour en concluant : « vous voyez l'enjeu qu'il y a avec le privé ». Certains d'entre nous ayant la foi en l'homme et en la raison chevillée au corps se sont dit « on le croyait perdu mais, miracle, il a retrouvé un peu d'esprit critique et pointe du doigt, dans un sursaut de lucidité, un des risques effectivement majeurs de cette réforme ». Tellement heureux de pouvoir se dire « finalement il n'est pas si mauvais », ils accompagnent ce qu'ils croient être une résurrection en poussant dans un souffle : « et bien oui, ils vont tous y partir car le privé aura les moyens de les accueillir et de leurs proposer des activités sur les temps libres. » Et c'est ce moment de faiblesse que la bête choisit pour se redresser, cueillant à froid les pauvres créatures pétries d'humanité en leur décochant un terrible : « mais pas du tout, parce que vous allez faire preuve d'imagination et d'inventivité pour éviter cela. » C'est sûr ! Après avoir mis en place nos 4 programmes en une seule fois, après avoir élaboré des EPI tous plus baroques les uns que les autres en passant nos week-ends avec nos collègues au collège en dormant sur des lits de camp, après avoir erré de longs mois dans le dédale des programmes curriculaires et spiralaires tel Dante navigant entre les 9 cercles de l'enfer, après avoir passé nos vacances d'été avec nos collègues du premier degré pour articuler le CM2 et la 6e – et tout ça sans un kopeck de plus - on aura encore bien le temps, la force et l'énergie d'animer un club « vieux gréements et plum pudding » ! Que dit-on déjà de ceux qui osent tout ?

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