LE MONDE | 28.09.2016 à 20h37 • Mis à jour le 29.09.2016 à 07h43 | Par Camille Stromboni et Aurélie Collas

Sur le papier, le compte est bon : 60 000 postes auront été créés dans l’éducation sur le quinquennat. Le ministère de l’éducation nationale a annoncé, mercredi 28 septembre, la création de 12 800 postes en 2017. Si on y ajoute les 47 200 emplois déjà créés depuis 2012, l’objectif est atteint. L’engagement du candidat François Hollande à l’élection présidentielle de 2012 « est tenu », s’est félicitée sa ministre de l’éducation nationale, Najat Vallaud-Belkacem. « A ceux qui doutaient qu’on y arriverait, et bien ça y est, c’est fait ! »

Après des années de disette budgétaire sous la droite (près de 80 000 postes supprimés), la gauche s’était engagée à « réinvestir dans les moyens humains » au nom de la « priorité à la jeunesse ». La programmation de 60 000 nouveaux emplois sur cinq ans était un préalable à sa « refondation de l’école » inscrite dans la loi d’orientation de 2013. Dans le détail, 54 000 postes sont affectés à l’éducation nationale, 5 000 à l’enseignement supérieur et 1 000 à l’enseignement agricole.
Des moyens concentrés sur certains territoires

Reste à savoir où sont passés ces postes. Si les crédits sont bel et bien affichés dans les lois de finances successives, dans la réalité, le ressenti est différent. Les moyens mis en œuvre ne sont pas toujours visibles, comme le pointait le rapport du comité de suivi de la loi sur l’école, paru en janvier. Les parents se plaignent toujours d’absences de professeurs non remplacées, les syndicats d’enseignants dénoncent toujours des classes trop chargées, et les rectorats ont toujours recours à du personnel précaire pour pallier les besoins.

L’explication de ce paradoxe tient à plusieurs facteurs. Interrogée à ce sujet lors de la présentation du budget 2017, mercredi 28 septembre, la ministre a rappelé que « les moyens n’étaient pas affectés indifféremment partout. Ils ont été concentrés dans les territoires qui en avaient le plus besoin ». Surtout, tous les postes créés ne correspondent pas à des enseignants titulaires en plus dans les classes. Dans l’éducation nationale, près de la moitié des nouveaux moyens (26 000) sont en réalité des postes de stagiaires, dont le nombre est dû au rétablissement de l’année de formation en alternance que la droite avait supprimée en 2007.

Dans sa répartition, le ministère inclut aussi des personnels non enseignants – 600 personnels médico-sociaux et 450 administratifs –, ainsi que des contractuels – 4 250 emplois d’aide aux élèves handicapés et 2 150 assistants d’éducation (AED, principalement des surveillants). Dans les rangs syndicaux, le fait que ces contrats soient intégrés dans le calcul des 60 000 postes agace un peu : « Les AED ne sont jamais comptabilisés dans les emplois de fonctionnaires. Il nous semble un peu opportun de les comptabiliser pour une fois, dans le but d’arriver au compte à l’unité près… », observe Fabienne Bellin, du SNES-FSU.

Reste 20 600 postes d’enseignants titulaires, dont environ 10 600 dans le primaire, 7 850 dans le secondaire, 1 800 dans l’enseignement privé et 350 conseillers principaux d’éducation. A quoi servent-ils ? En premier lieu, une bonne partie de ces postes ont été « absorbés » par une démographie galopante. Selon le syndicat SNUipp-FSU, les écoles primaires ont scolarisé 66 000 élèves de plus entre 2012 et 2016.

De leur côté, les collèges et lycées ont accueilli 39 000 élèves supplémentaires à la rentrée 2015, 53 000 à la rentrée 2016, et 58 000 élèves de plus sont attendus en 2017, selon le SNES. Autre « difficulté » à laquelle le gouvernement a été confronté : la reconstitution des bataillons cassés par l’ancienne majorité : Réseaux d’aide aux élèves en difficulté (Rased), remplacements, etc.
Objectifs non atteints pour deux dispositifs clés

Conséquence, dans le premier degré : les deux principaux dispositifs créés par la gauche dans le cadre de la « priorité au primaire » – scolarisation précoce et « plus de maîtres que de classes » (deux enseignants par classe), destinés en priorité aux zones en difficulté – ne seront pas suffisamment abondés. Pour l’heure, 1 200 emplois ont servi à créer des classes accueillant des enfants de moins de 3 ans (sur les 3 000 prévus) ; 3 500 ont été déployés dans le cadre du « plus de maîtres que de classes » (sur 7 000). « Comme 4 000 créations de postes sont prévues au budget 2017 pour le premier degré, on sait déjà que les objectifs, pour ces deux mesures, ne seront pas atteints », avance Francette Popineau, secrétaire générale du SNUipp.

Dans le secondaire, la ministre de l’éducation nationale s’est engagée à déployer 4 000 postes pour mettre en œuvre la réforme du collège sur deux ans (rentrées 2016 et 2017) – ces postes serviront notamment à « dédoubler » les classes, c’est-à-dire à proposer aux élèves plus de travail en groupes. Pour le reste, absorbés par la hausse démographique, les nouveaux moyens n’auront pas permis, selon le SNES, de rétablir le vivier de remplaçants, ni de diminuer le nombre d’élèves par classe. C’est même plutôt l’inverse qui se produit au lycée : « La part des classes comptant de 35 à 39 élèves est passée de 25 % à 41 % », écrit-il dans un communiqué.

Par ailleurs, qui dit poste créé ne dit pas forcément poste occupé. Dans certaines disciplines, comme les lettres classiques, l’allemand ou les mathématiques, la crise du recrutement perdure et les concours ne font pas le plein. Quand un poste n’est pas pourvu, ou bien il est occupé par un contractuel, ou bien les crédits sont réaffectés ailleurs. Selon la Cour des comptes, près du quart des postes supplémentaires n’ont pas été « consommés » entre 2013 et 2015.
Un décompte qui fait débat pour l’enseignement supérieur

Enfin, s’agissant des 5 000 postes promis à l’enseignement supérieur, le décompte fait véritablement débat. Ces emplois correspondent à des dotations qui ont bien été versées aux universités – environ 60 millions par an pour 1 000 postes, répartis de manière à soutenir les établissements les plus sous-encadrés. Mais les universités autonomes n’ont pas pu forcément les créer en raison de leurs difficultés financières.

Thierry Mandon, le secrétaire d’Etat, a avancé mercredi une fourchette de 75 % à 80 % de ces emplois qui auraient été créés par les universités. Une proportion qui laisse sceptique les syndicats : « Entre 2012 et 2015, nous avons surtout perdu près de 1 200 emplois de titulaires à l’université d’après la Cour des comptes, souligne Hervé Christofol, secrétaire général du Snesup-FSU. Seul le nombre de contractuels a augmenté, de 4 110. »

« Il s’agirait plutôt de 60 % de ces emplois réellement pourvus, évalue de son côté Franck Loureiro, secrétaire national du SGEN-CFDT en charge de l’enseignement supérieur, qui souligne la difficulté d’un tel calcul. Il est dans tous les cas évident que cela ne suffit pas à répondre au boom démographique à l’université. »

D’où ce sentiment de décalage avec la réalité que ressentent les universitaires, avec encore 30 000 étudiants supplémentaires qui rejoignent les bancs de la fac en cette rentrée.

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