Paul Devin, Inspecteur de l’Education nationale, nous livre ses réflexions à propos du livre "Une année pour tout changer". où Céline Alvarez raconte comment, en quelques mois, on peut transformer l’école pour le bonheur de tous.

C’était le matin de la rentrée, sur France Inter. Céline Alvarez annonçait la confirmation des résultats de son expérience de Gennevilliers à une plus grande échelle : 750 classes en Belgique pour confirmer sa capacité à « révolutionner l’éducation ». A nouveau, les réactions sont plutôt positives voire enthousiastes. Tout le monde a oublié que la validation scientifique par le CNRS des résultats de Gennevilliers était une imposture [1] et que tout le discours prometteur de Céline Alvarez ne reposait donc que sur sa propre vision des choses. Mais cette fois plus de tricherie évaluative ... car il n’y aura pas d’évaluation : « Cela aurait été formidable, mais cela demande des moyens colossaux et nous n’en avions pas du tout [2]. ». C’est ailleurs qu’il faudra chercher la preuve, car désormais c’est la joie des enfants et des parents qui est la boussole [3].

Les fonctions exécutives

Le fondement théorique des affirmations de Céline Alvarez, ce sont les fonctions exécutives, c’est à dire des fonctions cérébrales qui contrôlent les activités cognitives. Pour ne prendre qu’un exemple, le contrôle inhibiteur est la faculté de se concentrer sur une tâche sans se laisser distraire par des émotions et des stimuli non pertinents. En réalité, la littérature scientifique insiste sur la complexité de ces fonctions. Patrick Perret [4] qui tente de faire la synthèse des recherches en la matière avertit que « étant donné la très large gamme de tâches et d’activités dans lesquelles la fonction d’inhibition a été, au moins en théorie, impliquée, la question de l’unité du processus est soulevée de manière récurrente ». Ces notions sont donc davantage des concepts de travail que des éléments opératoires linéairement applicables à l’action notamment pédagogique. D’ailleurs la conclusion de Patrick Perret nous incite à la prudence. Cette synthèse, nous dit-il, : « atteste de la complexité des relations possibles entre inhibition et développement cognitif : elles ne sauraient se réduire à des rapports de causalité linéaire et soulèvent encore de nombreuses interrogations ».

Mais en réalité, Céline Alvarez est loin de vouloir construire ses principes en prenant en compte la complexité de ces notions. Ce qu’elle énonce en la matière relève du truisme : les élèves doivent mobiliser leur attention ! Mais la citation de notions neurocognitives permet un habillage scientifique. Tout cela dans un modèle binaire qui oppose sans nuances ceux à qui on a permis le développement des fonctions exécutives et ceux dont ce n’est pas le cas qui s’avéreront avoir des difficultés de concentration, être influençables, illogiques et maladroits …

Une pédagogie révolutionnaire ?

Céline Alvarez a des ambitions claires : « tout changer » et l’ensemble de son propos est baigné de l’idée d’une conception révolutionnaire qui va permettre ce changement radical ! L’examen de ses propositions pédagogiques est de ce point de vue des plus décevant car la plupart de ses affirmations n’ont rien de nouveau. D’ailleurs bon nombre de ses conseils me paraissent être tout à fait justifiés et sont depuis longtemps un discours commun à bien des formateurs et conseillers pédagogiques qui accordaient une importance majeure à l’activité de l’enfant et à ses enjeux.

Parfois, la nature prétendument innovante des propositions de Céline Alvarez fait même sourire car la suppression du bureau du maître est loin d’être une idée nouvelle et originale en maternelle ! De même j’ai suffisamment fréquenté d’enseignantes et d’enseignants de maternelle pour savoir que la question de l’aménagement de la classe est depuis longtemps leur préoccupation : preuve en est des weekends entiers passés en classe à chercher des dispositions favorables à l’activité des élèves.

Le chapitre consacré à la régulation des conflits entre les enfants procède de même de conseils de bons sens mais on peinera à être immédiatement convaincus qu’ils suffiront à opérer le miracle annoncé en quatrième de couverture qui, en quelques semaines, fait passer les élèves de l’indiscipline au calme.

Les moyens

La question des moyens est traitée avec simplicité et clarté : l’école n’a pas besoin de moyens ! La salle de classe est et délabrée… que les enseignants la repeignent avec les parents d’élèves, une journée suffit [5] ! Quant aux aménagements mobiliers tout se passe comme si l’ingéniosité viendrait à bout de toute question matérielle. Des revendications sur les effectifs … non, ce n’est pas le nombre d’élèves qui est trop grand, c’est la surface des classes qui est insuffisante ! Sur les médias, Céline Alvarez l’a répété : son expérience belge montre que les moyens ne sont pas nécessaires pour améliorer la qualité de l’école. Argument qui ne peut que séduire dans un contexte d’économies néolibérales qui fustigent la qualité du service public scolaire tout en rechignant à le doter à la hauteur de ses besoins.

C’était le matin de la rentrée, sur France Inter. Céline Alvarez annonçait la confirmation des résultats de son expérience de Gennevilliers à une plus grande échelle : 750 classes en Belgique pour confirmer sa capacité à « révolutionner l’éducation ». A nouveau, les réactions sont plutôt positives voire enthousiastes. Tout le monde a oublié que la validation scientifique par le CNRS des résultats de Gennevilliers était une imposture [1] et que tout le discours prometteur de Céline Alvarez ne reposait donc que sur sa propre vision des choses. Mais cette fois plus de tricherie évaluative ... car il n’y aura pas d’évaluation : « Cela aurait été formidable, mais cela demande des moyens colossaux et nous n’en avions pas du tout [2]. ». C’est ailleurs qu’il faudra chercher la preuve, car désormais c’est la joie des enfants et des parents qui est la boussole [3].

La lecture

Sur la question de la lecture, ce qui est dit est d’une telle incurie qu’on en reste parfois pantois. Par exemple, le témoignage d’un directeur d’école qui a fait une découverte incroyable en expliquant à ses élèves « comment ça fonctionne lire » : « apprendre que la lettre M fait mmm mais que avec le A derrière cela va faire « ma » et de conclure : « une fois que la technique est acquise, ils sont assez intelligents pour lire seuls ». Je sais vous n’allez pas me croire, penser que j’exagère … non c’est littéralement cela qui est écrit page 193 et qui veut nous faire croire qu’une fois la combinatoire expliquée individuellement , tout le reste se jouera sans difficulté, spontanément ! Dans ces conditions, la prétention de Céline Alvarez à fonder une méthode naturelle est une nouvelle preuve des impostures dont elle est capable. Alors que les idéologies de retour au syllabique et que l’insuffisante formation initiale et continue sur le sujet doivent nous conduire à revendiquer le développement des compétences didactiques, voilà qu’on nous raconte que tout va se passer naturellement une fois installé le B.A BA…

La question sociale et le miracle

La question sociale est absente de l’ouvrage. Les fonctions exécutives étant « des directives biologiques intérieures », l’origine sociale des enfants n’est en rien un facteur influant la réussite des apprentissages. La méthode Alvarez est une exception : toutes les autres ne parviennent pas à lutter contre les inégalités sociales qui restent déterminantes sauf Céline Alvarez dont les résultats produisent une réussite générale … En fait, ce n’est pas tant une révolution qu’un miracle. Le livre de Céline Alvarez est ponctué de petits récits qui racontent presque tous la même chose : dans une classe où les élèves s’ennuient, elle leur propose une activité qui fait naître enthousiasme et bonheur. Et le visage des élèves de devenir « lumineux, calme et avenant [6] » Parfois le miracle est plus intense encore : c’est une grave phobie scolaire, puisque l’enfant en perdait ses cheveux, que Céline Alvarez résout en deux jours [7]. Même durée pour résoudre le problème d’un enfant incapable d’entrer en communication avec les adultes et les autres enfants[8]. Et vous l’aurez remarqué… jamais un échec, jamais une difficulté vraiment résistante, jamais un comportement qui résiste à la bienveillance de l’adulte… C’est une pédagogie d’enseignants thaumaturges. La promesse est ambitieuse : en quelques semaines, les enfants sont devenus autonomes, confiants et sereins. Et désormais puisqu’il n’y aura aucune évaluation de tout cela … c’est une affaire de foi.

Éloge du travail enseignant quotidien

En creux du discours de Céline Alvarez, finit par se répandre une telle vision de la réalité des classes qu’on peut la ressentir comme méprisante. Bien sur l’auteure s’en défendrait mais elle renouvelle pourtant les récits où elle introduit dans la classe une initiative très élémentaire qui produit immédiatement des changements profitables. Curieuse conception de la formation qui voit le progrès de l’enseignant comme relevant d’une révélation concédée par Céline Alvarez. Thaumaturge et gourou.

La réalité c’est que miracle n’existe pas en éducation où aucune méthode, aucune pédagogie, aucun principe ne peut prétendre venir à bout de toutes les difficultés et les résoudre toutes. C’est ailleurs que dans les leurres de Céline Alvarez que nous devons chercher à améliorer nos pratiques professionnelles. C’est pourquoi à la promesse illusoire, nous préférons la patiente, longue et incertaine exigence du travail quotidien.

Notes et références :

[1] voir billet du 7 septembre 2017 sur Médiapart https://blogs.mediapart.fr/paul-devin/blog/070917/science-et-pedagogie-deformations-et-impostures-1-lexperimentation-alvarez

[2] Noémie ROUSSEAU,Céline Alvarez : En mettant un temps de côté les fondamentaux, tout change, Libération, 4 septembre 2019

[3] Céline ALVAREZ, Une année pour tout changer, 2019, p.82

[4] Patrick PERRET, Contrôle inhibiteur et développement cognitif : perspectives actuelles, Revue de Neuropsychologie, 13 (3), 345-373.

[5] Céline ALVAREZ, op.cit., p.61

[6] ibidem,p.54

[7] ibidem,p.103-104

[8] ibidem,p.103