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Ce bracelet connecté qui a déclenché la foudre

Ce gadget à 8 € a torpillé une expérimentation destinée à promouvoir l’activité physique et à améliorer la santé des collégiens sarthois. Le projet continue néanmoins dans six collèges.

La polémique

Le 23 juin 2022, en présentant à La Ferté-Bernard (Sarthe) le « premier programme sport-santé départemental pour les collégiens en France », le conseil départemental de la Sarthe n’imaginait pas qu’il allait déclencher pareil tollé.

Au départ, l’objectif annoncé paraît bien anodin et plutôt bienvenu quand les spécialistes s’alarment des conséquences des deux années de confinement sur la « sédentarité des jeunes et les risques d’obésité et pathologie associées ». Il s’agit d’encourager les collégiens à pratiquer des activités physiques avec un volet nutrition et sommeil.

8 000 élèves de 6e concernés

Le projet est initié par les deux associations sportives scolaires du département : l’UNSS pour le public et l’Ugsel pour le privé. Après une expérimentation menée dans six collèges jusqu’en novembre, il pourrait s’étendre aux 8 000 élèves de 6e du département. Objectif louable donc. Pourquoi une telle levée de boucliers ? Parce que ce programme s’accompagne de la dotation d’un « bracelet connecté »à chaque collégien. Connecté ? Le mot a mis le feu aux poudres au creux de l’été. S’érigeant en « défenseur des libertés », Nicolas Dupont-Aignan, de Debout la France, a dénoncé, dans une vidéo,« 30 000 collégiens bagués comme des poulets ».

Connecté ou connectable ?

Les chiffres sont faux, mais qu’importe, le retentissement est national. Ses partisans inondent les boîtes mail des élus sarthois et des rédactions. Une manifestation fin août, au Mans, rassemble une centaine de personnes aux motivations diverses : bilan écologique désastreux, menace d’une surveillance institutionnalisée, contrôle des citoyens, hyperconnexion, coût inutile…

Anthony Trifaut, l’élu départemental chargé de l’éducation, jure ses grands dieux que le bracelet ne fait « qu’enregistrer les pas, la fréquence cardiaque et la température. Des données récupérables uniquement par l’élève et ses parents. Bien moins sophistiquée que les applications de nos téléphones. » Contrairement à sa dénomination, le bracelet ne serait donc « pas connecté, mais connectable ». Trop tard. Le « gadget motivationnel » pour inciter les collégiens à se bouger est diabolisé. Victime d’une communication pour le moins maladroite.

L’un des collèges n’a pas distribué les bracelets

Fin juin, deux collèges ont reçu les bracelets. Trois cents modèles à 8 € pièce, sélectionnés par l’UNSS et l’Ugsel. « À notre connaissance, seuls deux parents s’y sont opposés. C’est leur droit. Cela n’empêchera pas leur enfant de participer au programme sport-santé. »

Depuis la rentrée, syndicat enseignant et parents d’élèves, furieux de ne pas avoir été concertés, sont montés à leur tour au créneau. Les rumeurs d’abandon vont bon train. « On ira au bout de l’expérimentation »,jure Anthony Trifaut.

Cette polémique désole Daniel Pretto qui porte une double casquette : président de l’Ugsel sarthoise et directeur du collège Saint-Joseph au Mans qui a reçu les fameux bracelets. Mais lui, c’est un comble, a décidé de ne pas les distribuer ! Trop de passion. « Ce bracelet a totalement pollué le débat ».

Un diagnostic de forme des élèves

Le programme « sport-santé », il l’a mis en place depuis plusieurs années. Il s’agit de faire un « diagnostic de l’état de forme des élèves de 6e » en leur faisant passer douze tests d’effort (cardio, équilibre, force et souplesse). « En fonction des résultats, on met en place un programme d’activités. Et on vérifie, en fin de 3e, si leur état s’est amélioré ou pas. » Les professeurs de SVT (sciences et vie de la terre) sont associés à ceux d’EPS (éducation physique et sportive) pour l’aspect nutrition et hygiène de vie.

« Ça n’a rien de révolutionnaire,assure-t-il. La nouveauté, c’est que les enseignants pourront s’appuyer sur l’application « Tous en forme » mise au point par l’université Paris cité (accessible à tous). Et entrer sur une tablette les résultats de leur groupe. C’est plus simple qu’une feuille et un crayon. Les données seront anonymes. » C’est « exactement le même principe », poursuit-il que les évaluations de 6e en français et en maths. Anonymes et saisies sur PC.

Quelle utilisation des données ?

Quelles données collectées, comment seront-elles stockées, pour quel usage ? « On travaille avec la Cnil [Commission nationale de l’informatique et des libertés] sur le Règlement général sur la protection des données », indique Anthony Rifaut qui envisage de financer la thèse d’un doctorant de Staps (activités physiques et sportives) de Le Mans université, pour le suivi de ce programme.

« Qu’on s’inquiète de ce qu’il advient de ces données est normal » convient Daniel Pretto qui a décidé, en attendant d’avoir l’assurance que « tout est bien bordé », de garder les montres dans son coffre. « De toute façon, c’est loin d’être la finalité. C’est juste un gadget pour motiver les enfants. »

Laurence PICOLO, Lundi 26 septembre 2022, Ouest France

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