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L'Humanité des débats

Face-à-face

entre Roger Keime, Secrétaire national du syndicat national 
des inspecteurs d’académie (SNIA-IPR) et Camille Bedin, Secrétaire nationale en charge 
de l’Égalité des chances.

 L’UMP et le gouvernement proposent la mise en place d’une évaluation des enseignants pilotée par le chef d’établissement. Pourquoi ?

Camille Bedin. Cette mesure s’inscrit dans le cadre de l’autonomie des collèges et des lycées que l’on appelle de nos vœux. Les établissements ne peuvent plus être gérés uniformément, de manière administrative. Chacun d’eux doit se doter d’un projet propre avec à sa tête un vrai patron. Mais il n’est pas question d’un système d’évaluation rigide avec un chef d’établissement autocrate qui mettrait telle note à tel prof parce qu’il ne lui revient pas…

Roger Keime. Les chefs d’établissement ne sont pas des capitaines d’industrie ! Ils ont choisi de faire ce métier pour avoir une autre action auprès des établissements mais certainement pas pour juger leurs collègues professeurs sur leur pratique didactique et disciplinaire. Le principal syndicat des chefs d’établissement a d’ailleurs répondu qu’il ne voulait pas s’arroger cette compétence. Nous sommes donc fortement opposés à ce que le ministère et l’UMP envisagent. En revanche, nous sommes tout à fait favorables à une évaluation sous le double regard des chefs d’établissement et de l’inspecteur d’académie, comme elle existe actuellement. Le professeur est noté sur 100 points, dont 60 sont attribués par l’inspecteur et 40 par le chef d’établissement. Ce dernier est nécessaire pour voir comment l’enseignant s’investit dans l’établissement, travaille en équipe, participe à la vie de l’établissement, rencontre des parents, etc. Mais sur l’enseignement proprement dit, il n’a pas les compétences pour juger.

 Comment l’UMP envisage-t-elle précisément le fonctionnement 
de ces évaluations ?

Camille Bedin. Comme dans une entreprise, un patron prend des avis, consulte. Là, de la même manière, l’évaluation serait collégiale et revêtirait plusieurs aspects : un système d’autoévaluation où l’enseignant, en fonction de l’élève qu’il a en face de lui, se fixerait lui-même ses propres objectifs ; une intervention de l’inspection académique à un moment ou à un autre ; et, enfin, dans les grands établissements, la nomination dans chaque discipline d’un professeur « senior » expérimenté, qui pourrait fixer les objectifs à ses collègues. Évidemment, l’UMP n’a pas vocation à définir tout dans le détail. C’est la responsabilité des syndicats et du ministère. Mais l’idée maîtresse est d’avoir, dans chaque établissement, un vrai pilote avec de vraies responsabilités.

Roger Keime. Si vous voulez, je peux faire l’explication de texte… Déjà, le professeur « senior » par discipline est un concept directement inspiré de l’enseignement privé confessionnel où il existe un professeur « de niveau » chargé de répercuter les consignes du chef d’établissement. Mais, surtout, l’UMP veut profondément changer le rôle de l’inspecteur. Aujourd’hui, nous agissons selon un protocole réfléchi avec le rectorat qui nous permet de fixer des priorités à nos inspections, comme par exemple de mettre l’accent sur les jeunes enseignants dans les zones difficiles qui ont besoin, plus que d’autres, de nos conseils. Dans le système imaginé par le ministère, l’inspecteur en viendrait à ne remplir que trois types de tâches : évaluer depuis son bureau la fameuse « auto-évaluation » que lui aura envoyée le professeur (passionnant…) ; répondre aux appels au secours des chefs d’établissement qui nous demanderont de venir visiter un prof qui rencontre de gros problèmes ; et enfin venir pour faire des rapports d’inspection sur un professeur que le chef d’établissement souhaiterait promouvoir… Bref, nous ne viendrions plus que sur commande, au bon vouloir d’un proviseur ou d’un principal…

Quelles sont les faiblesses 
de l’inspection telle qu’elle 
se déroule aujourd’hui ?

Roger Keime. ll y a une première difficulté à assurer suffisamment d’inspection. Nous sommes entre 800 et 900 inspecteurs opérationnels pour 400 000 enseignants dans le secondaire. Chacun d’entre nous suit entre 300 et 500 professeurs. Or, compte tenu de la multiplication des tâches que l’on nous demande, il est de plus en plus difficile d’assurer un bon nombre d’inspections par an. Nous en faisons en moyenne 80. Il faudrait arriver à 100 pour améliorer la fluidité des parcours enseignants. L’inspection avec sa notation est souvent jugée infantilisante. Ce qui peut être vrai et nous sommes tout à fait prêt à faire évoluer l’évaluation. Mais cela ne peut se faire en cinq minutes, sans réel dialogue, comme essaye de le faire le gouvernement ! N’oublions pas que le sujet concerne plus de 900 000 enseignants. Sur le fond, il faut sortir de l’image d’Épinal de l’inspecteur qui vient une heure et puis s’en va. Une inspection, c’est prendre contact avec l’enseignant, le suivre en classe pendant une séquence, s’entretenir avec lui pendant une heure, rencontrer les autres enseignants de la discipline, évaluer l’intéressé après un contact avec le chef d’établissement… Et nous sommes beaucoup plus appréciés que ce que certains semblent croire. Compte tenu de notre formation d’agrégé et de nos quinze ans minimum de pratique, nous ne sommes pas contestés sur notre compétence disciplinaire, comme le serait fatalement un chef d’établissement qui n’a peut-être quasiment jamais enseigné.

Camille Bedin. L’argument du chef d’établissement qui ne peut évaluer car ne connaissant pas la discipline était valable dans une école du début du XXe siècle où l’élève faisait du français, des maths, de l’histoire, point. Mais on ne vit plus dans ce monde-là. Le métier d’enseignant a évolué. Un prof ne peut plus arriver à 8 heures du matin, faire ses deux heures de maths, et repartir à 10 heures sans s’investir aucunement dans le projet d’établissement. Aujourd’hui, notamment dans les quartiers difficiles, chaque acteur (parent, enseignant, élève, chef d’établissement) doit s’investir dans un projet collectif. Et le travail de l’enseignant ne se limite pas à sa classe. Son évaluation doit donc être faite également de manière globale. On doit évaluer sa pédagogie mais aussi tout le reste : investissement dans le projet, son temps de présence dans l’école, son temps de dialogue avec les parents d’élèves… Tout ça doit être mieux et plus pris en compte.

Roger Keime. Il me semble que cela l’est déjà largement. Ce dossier a été abordé par le mauvais bout par le gouvernement et l’UMP qui font là de la politique de bas étage. En tant que hauts fonctionnaires, nous n’avons pas le droit de grève. Mais l’expression publique de notre désapprobation c’est notre manière à nous de soutenir la journée de grève du 15 décembre, à l’appel de la plupart des syndicats, contre ce projet de réforme.

Entretien croisé réalisé
par Laurent Mouloud

L'Humanité - Edition du vendredi 9 décembre 2011

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