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Denis Paget, de l’institut de recherche de la FSU, poursuit son travail - un livre devrait sortir prochainement - sur les questions liées à la réforme de l’éducation.

Pour un programme obligatoire de culture et de compétences communes

Le « socle de connaissances et de compétences » divise les partis comme les syndicats qui se réclament de la gauche depuis son apparition dans le débat public. Les positionnements de chacun superposent continuellement de l’explicite et de l’implicite qui cristallisent des oppositions anciennes mais toujours irréductibles sur l’appartenance du collège au premier ou au second degré et sur la définition de la scolarité obligatoire, des prises de position sur le bien-fondé des coordinations des politiques éducatives européennes depuis la mise sur les rails de « la stratégie de Lisbonne » en 2000, et des convictions pédagogiques sur la place des savoirs et des compétences, la place des disciplines scolaires et des compétences transversales. Trois niveaux de débats chargés d’enjeux et de tensions qui rendent les choix d’avenir extrêmement difficiles. En effet, tous concernent étroitement la vie politique de notre pays.

Un leitmotiv des politiques de droite

L’idée du « socle » est historiquement très marquée à droite sous des formes diverses : savoirs de base, smic culturel, kit de survie... et le socle est effectivement la mesure phare de la politique initiée par F. Fillon. Elle résume l’idéal de l’élitisme républicain : l’école sélectionne et dégage les élites mais la société ne peut fonctionner sans une politique « inclusive » qui façonne les attitudes, les comportements et fournit des compétences de base à la masse de ceux qui n’atteindront jamais le niveau d’un baccalauréat. Ce socle serait le lot de consolation de ceux qu’on considère comme a priori incapables de dépasser la scolarité obligatoire à 16 ans et répond aux inquiétudes ancestrales des classes dirigeantes et du Medef qui craignent la présence d’une population marginalisée et potentiellement menaçante.

Le processus d’élaboration de ce socle a confirmé aux yeux des enseignants qu’il s’agissait plus d’une injonction bruxelloise déguisée que d’un processus démocratique.

Le lapin sort du chapeau

Rappelons que le « grand débat » de 2003-2004 n’a pas été particulièrement porteur d’une demande de socle de base comme en témoigne le « Miroir du débat » remis le 6 avril 2004. C’est la commission présidée par Claude Thélot qui l’a sorti de son chapeau comme sa mesure-phare. Sans doute tous ceux qui l’ont soutenu dans la commission n’en avaient pas la même conception mais c’est la version minimaliste et utilitariste qui a été rendue publique : deux piliers (langue française et éléments de mathématiques), deux compétences (anglais de communication internationale et TICE), et éducation à la vie en commun et démocratique. Ce minimalisme situait bien le socle comme le viatique des plus faibles (sans véritable projet culturel, sans histoire, sans corps, sans tout ce qui fait le el de la vie). Le tout assorti de la recommandation que pour « un élève qui a des difficultés, les enseignements communs à tous devraient être prioritairement orientés vers l’acquisition du socle commun des indispensables » (rapport de la commission Thélot, p.57). Certes la commission ne présentait ce socle que comme un exemple qui n’excluait pas la présence d’une culture en parallèle et affirmait même que « réussir c’est maîtriser une culture commune et en son sein un socle commun des indispensables », mais les parcours proposés ensuite ne faisait guère de doute sur l’absence de volonté de promotion de tous les jeunes à un niveau plus élevé qu’aujourd’hui : un collège où s’affirmait déjà des choix destinés à croître jusqu’à 16 ans, puis un lycée plus fortement cloisonné par la suppression de la seconde de détermination et le profilage des 3 bacs vers l’insertion professionnelle, les études supérieures courtes et les études longues.

La définition finale du socle est revenue au Haut Conseil de l’Education, organisme dont presque tous les membres ont été désignés par le pouvoir législatif et exécutif, et qui s’est contenté d’une adaptation des compétences-clés élaborées par des experts européens et avalisées par le Parlement. Toilettage qui a d’ailleurs produit un socle parfois moins ambitieux et moins habile que la proposition européenne.

Le new management en prime

Pour les personnels, il s’agissait d’une triple rupture : une définition des contenus très différente des habituels programmes, le sentiment que l’Europe se mêlait des questions éducatives jusque dans le fonctionnement même de leur classe au quotidien, alors que les traités ne le prévoient pas, et une élaboration qui rompait avec les modalités, déjà fortement contestées, d’évolution des programmes au sein du giron Education nationale. L’imprimatur du Parlement français n’a pas été perçu comme donnant une légitimité particulière à ce socle.

Progressivement, le socle est devenu une véritable contrainte qui a complexifié le métier d’enseignant, bousculant le savoir-faire des professeurs, poussant à vider les disciplines de leur chair et surtout obligeant à de continuelles acrobaties entre les objectifs et méthodes imposés par le socle et les prescriptions des programmes disciplinaires. L’apparition progressive des multiples versions du Livret de Compétence finissant par démoraliser littéralement les enseignants conduits à un métier d’exécution tatillonne d’évaluateur permanent au lieu de se consacrer à l’élaboration d’un enseignement riche et motivant pour les élèves. Qu’ils se lancent à corps perdu dans l’enseignement par objectif de compétences ou qu’ils fassent semblant de s’y prêter, les professeurs ont eu le sentiment que s’introduisait avec le socle et le Livret les procédures ravageuses qui accompagnaient la Révision Générale des politiques publiques. C’est une des raisons qui nous pousse à demander qu’on change à la fois le contenu et l’appellation « socle ».

« L’école du socle » ou la réactivation des guerres de religion

S’ajoute à ce panorama le retour à de vieux débats qu’on pensait dépassés qui sous-tendent les prises de position de certaines organisations en faveur d’une école du socle : c’est l’idée du retour de « l’école fondamentale » portée par l’ancien syndicat des instituteurs et l’ancienne fédération de l’Education nationale pour unifier école et collège et y installer les mêmes catégories de personnels interchangeables sans tenir compte de l’histoire même de notre système éducatif. Ce retour est réellement catastrophique s’il a l’écoute du gouvernement car il est responsable du refus de discuter la notion même de scolarité obligatoire comme si le décret Berthoin de 1959 était indépassable. On rate ainsi l’occasion de marquer une étape historique dans la future loi par la prolongation réglementaire de la scolarité obligatoire ; ce qui ne ferait que légaliser ce qui est acquis par la quasi totalité d’une génération et obligerait à trouver de vrais solutions pour les décrocheurs qui s’évaporent au collège ou en cours de formation professionnelle. C’est aussi ce vieux débat qui empêche de travailler à des solutions réalistes pour considérer l’école moyenne comme un des trois maillons de l’école obligatoire d’aujourd’hui, pour éviter des ruptures brutales entre le CM2 et la 6ème et construire l’entrée dans des disciplines scolaires qui tiennent compte de la formation de enseignants et de l’âge des élèves. Et l’on entend donc refleurir le procès d’un collège qui serait un lycée avant la lettre et le procès des disciplines scolaires, véritables bêtes à abattre, au lieu de réfléchir à leur évolution et leur adaptation au niveau collège. De ce point de vue, les compétences transversales sont un bon prétexte pour laisser croire qu’on pourrait en grand partie se passer des disciplines scolaires au lieu de les réhabiliter et de les faire vivre et communiquer entre elles. Remarquons d’ailleurs une certaine prudence d’une partie des partisans de l’école du socle qui prennent la précaution de dire que cela ne signifie pas pour eux un établissement unique qui mettrait les écoles primaires sous la houlette des chefs d’établissement. Un des meilleurs moyens d’atténuer le choc des changements d’établissement (choc très relatif d’ailleurs si l’on en croit les témoignages des élèves, assez contents de trouver en grandissant une nouvelle organisation de leur scolarité), c’est de concevoir les programmes de culture commune et les formations continues d’enseignants par cycles de deux ans CM2-6ème, 5ème-4ème, 3ème-2nde et d’éviter la fragmentation journalière des emplois du temps en concevant des séquences plus longues par disciplines au collège tout en spécialisant un peu plus les enseignants qui travaillent dans les deux dernières années du premier degré.

Vers une prescription unique

Ce qui nous rend cependant plus optimiste c’est de constater qu’existe semble-t-il un consensus pour rompre avec une double prescription (socle pour les uns et programmes disciplinaires pour les autres). Même les plus fervents partisans du socle semblent avoir compris à quel point ce dispositif peut produire de la ségrégation. Il y a donc là une voie de passage pour concilier les points de vue. Appelons cette nouvelle prescription : le programme obligatoire de culture et de compétences communes et décidons de le valider progressivement pour aboutir à un brevet de culture et de compétences communes (voir à ce sujet nos propositions sur l’évaluation)qui ne sera pas un tout ou rien et qu’on pourra éventuellement finir d’acquérir en seconde. D’autres appellations sont possibles mais la conservation du mot « socle » nous semble à proscrire car elle renverra inévitablement le signal de l’immobilisme et du prolongement de la politique précédente. Deuxième exigence, pensons ce nouveau programme [1] comme un grand projet culturel qui irait au fond des mutations culturelles de notre société et comblerait l’écart croissant entre les pratiques vivantes du savoir et les pratiques scolaires au lieu de s’embarquer, comme le découpage des séances de la concertation le laissent entrevoir, dans une réflexion segmentée sur le socle d’un côté et une réflexion sur l’éducation artistique, scientifique et culturelle de l’autre. Ainsi, l’on pourrait enfin aller au fond des raisons qui excluent rapidement certains jeunes de l’accès à la culture en regardant comment le système scolaire peut concilier un regard plus attentif à la diversité qui nous traverse sans renoncer à viser le vrai et l’universel, comment il peut se mouvoir dans tous les registres culturels sans renoncer à former au jugement de valeur. Enfin, profitons de l’élaboration de ce grand projet pour installer des procédures plus démocratiques, plus efficaces, plus solides d’élaboration du curriculum des élèves.

Denis Paget - Professeur de lettres Institut de recherche de la FSU

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