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Doctorant en sociologie à l’université de Picardie, membre de l’institut de recherche de la FSU, Pierre Clément décrypte les enjeux du livret de compétences.

Le livret de compétences est très décrié. Quelle est son origine ?

Pierre Clément. C’est une conséquence directe de l’instauration du fameux « socle commun de connaissances et de compétences», défini par la loi d’orientation d’avril 2005, que tous les élèves sont censés maîtriser à la fin de leur scolarité obligatoire. Avec le socle, l’État s’assigne une obligation de résultats, à lui-même comme au système d’enseignement. Et qui dit obligation de résultats et de performances, dit instruments d’évaluation. Avec les évaluations de CE1 et CM2, le livret de compétences (LPC) doit permettre de vérifier si les élèves ont acquis ces « compétences ».

Quelle logique se cache 
derrière ce document ?

Pierre Clément. Sur le plan pédagogique, l’idée du socle est de se recentrer sur les fondamentaux, les «indispensables», plutôt que d’avoir des ambitions que l’école est incapable de tenir. Dans les faits, il a vocation à substituer aux programmes et aux disciplines des compétences plus générales, supradisciplinaires. Dans cette logique, une connaissance n’a de valeur que si elle peut être transposée hors du cadre scolaire où elle a été acquise. Par exemple, on va se servir d’un texte sur l’absolutisme pour évaluer la compétence générale « savoir analyser un texte ». En soi, l’absolutisme, c’est-à-dire le contenu de savoirs lui-même, devient secondaire… On est dans une définition utilitariste de l’enseignement, où les connaissances n’ont pas de valeur, en tant que telles, mais uniquement dans la mesure où elles permettent d’acquérir des savoir-faire qui peuvent être réinvestis, notamment sur le marché du travail. à ce propos, il faut rappeler que le socle commun est aussi une traduction nationale de la stratégie de Lisbonne sur l’économie de la connaissance, et qu’il s’est largement inspiré des compétences clés élaborées par la commission européenne et l’OCDE. Si les cinq premières compétences du socle correspondent à des champs disciplinaires classiques, les deux dernières (compétences « sociales et civiques » ; « autonomie et initiative ») sont transversales et directement issues des travaux européens. Avec quelques euphémismes : la commission parle d’« autonomie  et esprit d’entreprise » ; en France, on a préféré mettre « autonomie et initiative », ça passe mieux…

Quelles répercussions à terme ?

Pierre Clément. Cela dessine une transformation majeure du métier d’enseignant et du rapport pédagogique, avec non seulement des profs et des élèves toujours sous la pression des évaluations et de l’impératif de performance, mais aussi des savoirs toujours plus émiettés. Cette logique porte également une conception très individualiste et concurrentielle de l’enseignement. En mesurant les compétences individuelles, on invite les élèves à être, comme dit le sociologue Christian Laval, des « entrepreneurs d’eux-mêmes », à construire leur parcours et à porter seuls la responsabilité de leur échec.

Ce livret peut-il être simplifié ?

Pierre Clément. Les syndicats qui ont soutenu le socle – Sgen et SE-Unsa – ont écrit à Peillon pour lui dire que le socle commun était devenu un instrument « technocratique» et qu’il fallait en refaire un instrument « démocratique ». Il me semble qu’il est aujourd’hui tellement lié à une vision managériale du système éducatif qu’il serait bon d’y renoncer. Pour ensuite mieux reposer les questions en arrière-plan et qui restent pertinentes. Qu’est-ce que les élèves doivent avoir acquis à l’issue de la scolarité obligatoire ? Comment évaluer ces acquis ?

 

L'Humanité - Edition du mercredi 21 novembre 2012

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