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Certains ont pu récemment qualifier les programmes d'histoire-géographie de Terminales d'un « peu lourds ». (voir article du Maine Libre)

Admirons la litote ! En effet, peut-on qualifier d'un « peu lourd » un programme qui ne prévoit rien de moins qu'étudier, pour ne s'en tenir qu'à la seule géographie, la Russie, la mondialisation sous tous ses aspects, le continent américain dans son ensemble, le bassin caraïbe, le Brésil, les États-Unis, le Sahara, le continent africain dans son ensemble, l’Afrique du sud, l'Asie du sud et du sud-est, la Chine, le Japon et la ville indienne de Mumbaï ? Et le tout en 15 semaines environ en y incluant confection de cartes, croquis et schémas et les évaluations nécessaires ! Il en va de même en histoire.

Reconnaissons que ces programmes sont ambitieux. Il est certainement ambitieux de vouloir étudier avec des élèves de 17/18 ans des thèmes tels que « religion et société aux Etats-Unis de 1880 à nos jours » ; « les ressources et les conflits dans le Sahara » ou « les échelles de gouvernement dans le monde de 1945 à nos jours » ! Ambitieux et sûrement bienvenu que de vouloir faire comprendre aux élèves l'importance du fait religieux dans la civilisation américaine, que de vouloir leur faire toucher du doigt la complexité du conflit israélo-palestinien à travers « l'étude du patrimoine historique » de Jérusalem ou que de leur faire comprendre la difficulté de « gouverner la France depuis 1946 ».

Mais l'ambition n'est rien si elle ne demeure qu'au stade des incantations ! Et il s'agit bien de cela. Car derrière les ambitions affichées, que voyons-nous ? La réalité. Tout simplement. Cette réalité du terrain que les concepteurs des programmes ne connaissent manifestement pas. Car qui peut soutenir sans rire (à l'exception évidemment des Inspecteurs) qu'un élève de Terminale comprendra les liens entre société et religion aux États-Unis au bout de 6 heures de cours ? Qui peut prétendre sans rire qu'un élève moyen de Terminale se rappellera suffisamment d'éléments de son cours sur le protestantisme en quatrième et seconde pour assimiler sans difficultés l'énumération des différentes dénominations protestantes américaines (diversité sur laquelle le programme recommande bien d'insister!) ? Qui peut soutenir sérieusement qu'un élève moyen de Terminale connaît les premiers temps de l'histoire américaine et le poids de la religion dans cette histoire ? Cet élève sait-il parfaitement ce qu'est Thanksgiving, les Pilgrim Fathers, les Grands Réveils.... ?

Soyons sérieux, un tel élève n'existe qu'à la marge. Cette question est clairement intraitable en l'état et ne va se résumer qu'à un cours magistral que l'enseignant infligera aux élèves pour que ceux-ci aient suffisamment de connaissances dans l'optique du bac !

Et nous pourrions dire la même chose du chapitre sur « socialisme, communisme et syndicalisme en Allemagne depuis 1875 » ou sur « la Chine et le monde depuis le mouvement du 4 mai 1919 ». Qui peut ici sérieusement penser que nos élèves savent déjà tout de la situation de la Chine en 1919, des traités inégaux, de la chute de la dynastie mandchoue, de l'instauration de la république, de l’œuvre et de la figure de Sun Yat-Sen ? Poser la question est évidemment y répondre.

L'une des finalités fièrement exprimées par le programme est de développer l'esprit critique de nos élèves par l'acquisition de méthodes, d'ailleurs souvent communes à plusieurs disciplines : argumentation, problématisation, approche critique.... Mais ici aussi nous sommes en pleine tartufferie. Tartufferie car les promoteurs et défenseurs de ces programmes se leurrent en nous expliquant que ces questions vont susciter la réflexion chez nos élèves et lorsqu'ils insistent sur les méthodes ! Bien sûr que non. Pris par le temps, l'enseignant se réfugie dans le cours magistral (forcément très lourd) et ne travaillera que très peu les méthodes pourtant indispensables de la composition, du commentaire critique de documents et de cartographie. De toute façon, il y est invité par le programme et les sujets 0 proposés par les inspecteurs : ils reprennent purement et simplement les intitulés de chapitres (« État, gouvernement et administration de la France de 1946 aux lois de décentralisation de 1982-1983 incluses » par exemple). Il s'agit bien ici pour l'élève de réciter un cours appris par cœur ! Quelle grande avancée pédagogique ! Où est la réflexion demandée à l 'élève ? Où est la préparation tant chantée à l'enseignement supérieur ? L'enseignant en est réduit à gaver son élève de connaissances et à renoncer à le faire réfléchir à une notion aussi essentielle que la problématique.

Des programmes lourds, totalement inadaptés à nos élèves, aux horaires qui nous sont attribués et aux exigences du baccalauréat.  En encourageant le bachotage face à des questions d’une grande difficulté pour des élèves de terminale, ce programme est inutilement et vainement ambitieux dans sa formulation, reflet d’une transposition mal digérée des acquis récents de la recherche, et, à l’inverse, renonce à toute ambition en ce qui concerne l’évaluation des élèves, notamment au bac, alors que l’on sait à quel point c’est le bac qui surdétermine les comportements des enseignants et des élèves dans l’année scolaire. Encore un beau succès de cette oligarchie pédagogique qui rédige les programmes d'histoire-géographie et qui s'était déjà distinguée en rédigeant les programmes de Première dont l'ineptie a dû amener l'inspection Générale à les alléger (d'ailleurs n'importe comment!) en catastrophe !

Un souhait pour conclure : et si, pour une fois, on faisait confiance aux enseignants qui sont dans leurs établissements et on donnait enfin consistance à cette fameuse liberté pédagogique qui n'existe que sur le papier ? Un rêve fou sûrement...

Laurent Blancs - Professeur d'histoire-géo au lycée Montesquieu - Membre du bureau du Snes 72

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