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Quelques éléments pour commencer sur l’état du collège.
Tout d’abord pour dire qu’on ne peut pas le caractériser d’un seul trait : vouloir le résumer à l’ennui des élèves, à un carcan des disciplines ou au désintérêt des professeurs à vouloir y traiter les difficultés des apprentissages trahirait l’effort quotidien des équipes enseignantes qui cherchent à transmettre des savoirs et construire des compétences par un exercice professionnel dont la complexité est croissante.
Que le collège ne parvienne pas à conduire tous ses élèves à la réussite ne peut suffire à le désigner comme le maillon faible du système. Ce serait ignorer qu’il est confronté à des problèmes spécifiques : ceux de l’adolescence et de ses comportements contradictoires, ceux de la disparité des acquis dont la prise en compte est d’une difficulté croissante au long de la scolarité mais aussi ceux consécutifs à une réduction progressive des moyens dans un pays qui connaissait déjà des taux d’encadrement moins favorables que la moyenne des pays de l’OCDE.
Dans une période où le discours général se plait à répéter presque exclusivement la faillite de l’école, certains seront étonnés qu’on puisse évoquer la réussite du collège et pourtant il faut la dire. Le collège c’est la réussite d’une volonté politique essentielle, celle de scolariser ensemble toute une génération d’adolescents et de développer pour eux les mêmes ambitions. Dire cela est nécessaire même si, par ailleurs, il ne peut être question de nier que nous devons tourner nos efforts vers la résolution du problème majeur qu’est celui de la transformation des inégalités sociales en inégalités scolaires.
Vous le savez, si nous ne considérons pas que la réforme actuelle puisse contribuer à lutter efficacement contre les inégalités, cela ne résulte en rien d’un conservatisme qui refuserait tout changement. N’agrégeons pas trop vite les opposants à cette réforme. Les raisons qui les guident ne sont pas les mêmes. Nous défendons la mixité sociale parce que nous la considérons comme une nécessité pour le progrès de tous alors que certains l’ont réduite en permettant le renforcement de la ségrégation par la libéralisation de la carte scolaire. Nous voulons faire de la transmission des savoirs le vecteur essentiel de l’émancipation et de l’égalité alors que d’autres en font une stratégie de tri social.
La première nécessité de réforme pour le collège c’est de réussir à permettre une mixité sociale réelle sur l’ensemble du territoire. Et pas seulement en jouant à la marge par la suppression de sections, d’autant que certains établissements avaient justement réussi à en faire un vecteur de lutte contre la fuite de leurs meilleurs élèves. Cette mixité demande une politique déterminée, volontaire et courageuse. Elle est une urgence absolue pour que, dans certains territoires, la concentration des élèves les plus en difficulté ne constitue pas une situation sur laquelle les pédagogies même les plus élaborées n’auront plus de prise.
La seconde nécessité, c’est celle de donner au collège des moyens à la hauteur de l’ambition que nous portons pour tous ses élèves. Nous devons nous réjouir que notre société ait développé les attentes ambitieuses d’une réussite de tous. C’est le témoignage de son attachement profond aux valeurs de la démocratie. Mais lorsqu’on nourrit une telle volonté, il faut en assumer les coûts. Les volontés de rationalisation budgétaire ont été portées par un discours de relativisation des moyens qui prétend que la qualité n’aurait aucune relation avec les moyens consacrés à l’action.
Or il est impossible de réformer par des réorganisations de surface essentiellement préoccupées par la constance des coûts.
Peut-on décréter l’aide personnalisée quand les moyens ne permettent même pas le dédoublement des classes ?
Peut-on vouloir que soient mieux prises en compte les difficultés des élèves sans interroger la question des effectifs des classes qu’on laisse fluctuer au gré des variations démographiques ?
Peut-on invoquer l’amélioration qualitative des pédagogies mises en œuvre alors qu’on a laissé, faute de moyens, la formation continue se réduire d’année en année ?
Peut-on développer la professionnalité des enseignants alors que la baisse de leur pouvoir d’achat et la dégradation de leurs conditions de travail diminuent l’attirance pour leur métier et nous confrontent de manière de plus en plus préoccupante vers la pénurie du recrutement ?
Il ne sert à rien de procéder à quelques aménagements, en faisant croire qu’ils relèveraient d’une révolution pédagogique. Entendons-nous bien, la concertation des équipes est un facteur nécessaire ; se préoccuper des liens entre les disciplines est essentiel car c’est dans sa globalité que l’élève doit être capable d’appréhender le monde pour développer les compétences nécessaires à l’exercice d’une citoyenneté libre et responsable. Mais cela est d’abord et avant tout une préoccupation des enseignements disciplinaires et non la mise en œuvre pratique d’un thème qui se construit sur des liens très superficiels. Cela nécessite d’identifier des problématiques dont la résolution fait appel à des concepts issus de plusieurs champs disciplinaires. C’est-à-dire justement d’éviter la seule liaison thématique superficielle dont on peut douter qu’elle garantisse une meilleure réussite des élèves. Cela demande une élaboration complexe et la formation des enseignants qui va avec.

Faute d’une volonté de consacrer à l’enjeu majeur de l’éducation les moyens dont il aurait besoin, la réforme s’appuie sur des volontés d’évolution institutionnelle dont on peut douter qu’elles contribueront à de réelles améliorations.
La première est l’autonomie des établissements. Alors que bien des pays de l’Europe du Nord nous offrent les bilans désastreux de tels choix, le Royaume-Uni et la Suède pour ne citer que ceux qui ont été l’objet de publications récentes, certains continuent à affirmer dogmatiquement que l’autonomie des établissements contribuera à la réussite des élèves, refusant de tirer parti de ces expériences. Elles devraient pourtant nous rendre très prudents sur le renforcement des pouvoirs du chef d’établissement et le recours à des méthodes managériales. Parce que les organisations nouvelles dont le décret demande la mise en œuvre ne vont pas procéder de la seule réflexion pédagogique des équipes, elles vont devoir se conformer à des dotations horaires disciplinaires qui parfois s’avéreront incohérentes avec les projets quand bien même ces projets seraient guidés par une évaluation objective des besoins des élèves. Il faudra trancher et ce sera fait parfois sans ménagement. Pense-t-on qu’il en résultera réellement une meilleure coopération des enseignants ?
La réforme du collège pose avec une acuité exemplaire le problème de la réforme du système éducatif.
Notre société doit choisir. Si elle reste attachée à la démocratisation de la réussite scolaire, si elle veut poursuivre ce formidable effort qui depuis de longues années a conduit à l’élévation du niveau de formation et de qualification, elle doit en accepter les coûts. Nous ne parviendrons pas à améliorer de manière conséquente le service public d’éducation sans un investissement à la hauteur des enjeux, sans questionner les limites d’une doxa de la réduction systématique des budgets de l’action publique.
Oui, nous voulons réformer le collège. C’est à dire que nous voulons contribuer à rompre la détermination des liens qui unissent les inégalités sociales et les inégalités scolaires. Nous voulons que les enfants des classes populaires, dont nous savons qu’aucune prédisposition intellectuelle ne les confine à une réussite moindre, puissent construire les savoirs qui sont nécessaires à tous les citoyens d’une société libre, égalitaire et fraternelle. Mais nous savons que cela nécessite une politique qui ne peut se contenter d’affirmer des valeurs mais qui doit conduire les choix budgétaires nécessaires.
À défaut, nous continuerons ce qui devient désormais une activité quasi rituelle. Empiler les réformes, en initier une nouvelle sur le constat d’échec de la précédente. Et nous constaterons, à nouveau, l’accentuation des fractures sociales et toutes leurs conséquences.
La pédagogie est essentielle. La qualité professionnelle des enseignants est déterminante. Mais, il y a un point critique, où elles risquent de n’être plus que cautère sur jambe de bois. Il ne s’agit pas de brandir les menaces d’un déclin irréversible mais d’alerter en fonction de l’analyse que nous permet l’exercice quotidien de nos métiers d’inspecteurs et nous pensons que c’est le devoir d’une organisation syndicale que de le dire à la représentation nationale.

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